Rumba sans frontières
Paris
02/07/2010 -
Musique phare du continent africain et véritable phénomène culturel, la rumba congolaise apparaît dans un contexte politico-économique déterminant qui conditionne son développement unique et dessine les contours d’une histoire mouvementée.
Dans cette période qui précède et suit de peu l’indépendance de ces colonies belge et française, Brazza, tout en discrétion, sert de base de repli aux musiciens chaque fois que la situation se tend sur la rive opposée où la plupart d’entre eux évoluent. Car celle qui se nomme encore alors Léopoldville, Kinshasa aujourd'hui, fait figure d’eldorado pour tous les instrumentistes et chanteurs : en un peu moins d’une décennie, tout un environnement économique s’est créé autour de la musique. La filière s’est structurée. Les lieux pour jouer sont sans cesse plus nombreux car la clientèle à distraire augmente en permanence dans cette ville qui absorbe un flot continu de nouveaux arrivants : estimée à 100.000 habitants en 1945, la population passe à environ 400.000 en 1960, puis 900.000 en 1967 ! On dénombrera plus d’une trentaine d’orchestres de premier plan à cette époque. Une industrie du disque a vu le jour, dès 1948, sous l’impulsion de Nicolas Jeronimidis, très vite suivi par ses compatriotes grecs installés eux-aussi dans cette colonie belge. Ces commerçants efficaces et intuitifs ont pris conscience de ce marché potentiel qui ne demandait qu’à croître. Les conditions étaient en effet idéalement réunies pour qu’offre et demande de production locale se rencontrent.
D’un côté, les 78 tours de la série GV, exportés délibérément à bas prix en Afrique par La Voix de son maître, avaient commencé à toucher leur cible, en particulier ceux des artistes cubains. De l’autre, la station Radio Congolia, mise en service quelques années plus tôt, avait eu l’idée innovante – et alors à peine concevable – d’enregistrer de la musique africaine pour un public africain.
Une affaire de groupe
Cela donna l’occasion à des chanteurs tels que Wendo Kolosoy de se faire connaître, et contribua à une autre évolution majeure : alors qu’elle se pratiquait jusque-là essentiellement en solo, la musique était en train de devenir une affaire de groupe, sous l’influence conjuguée des orchestres de jazz occidentaux et des dockers ghanéens qui reproduisaient un modèle déjà existant chez eux. Dans leurs bagages, ces coastmen ont aussi apporté des guitares et une façon de jouer dont s’inspirent les musiciens locaux à leur contact. Henri Bowane est le premier guitariste congolais à briller avec la rumba. Son association avec Wendo Kolosoy, pour le label Ngoma créé par Jeronimidis, se concrétise entre autres par Marie-Louise, un immense succès dont la première version date de 1948. Les ventes sont telles que le producteur leur achète une maison et une voiture ! Leur tournée à travers le pays en 1953, avec Manuel D’Oliveira, a des allures triomphales : à chaque étape, le Trio B.O.W. est accueilli par une immense foule, prévenue de l’arrivée par les tam-tams traditionnels.
Bowane, devenu parallèlement directeur artistique du label Loningisa de Basile Papadimitriou, auditionne cette année-là un garçon de 15 ans dont le jeu de guitare impressionne et qu’on surnomme Franco. L’ascension du jeune prodige et de son groupe OK Jazz l’amène rapidement à être le concurrent le plus sérieux de Joseph Kabasele, l’artiste vedette du label Opika avec sa formation African Jazz
Bowane, devenu parallèlement directeur artistique du label Loningisa de Basile Papadimitriou, auditionne cette année-là un garçon de 15 ans dont le jeu de guitare impressionne et qu’on surnomme Franco. L’ascension du jeune prodige et de son groupe OK Jazz l’amène rapidement à être le concurrent le plus sérieux de Joseph Kabasele, l’artiste vedette du label Opika avec sa formation African Jazz
Indépendance chacha
Entre eux, la rivalité n’exclut pas d’éventuels arrangements pragmatiques. Certains membres de l’OK Jazz, comme Vicky Longomba, partent avec l’African Jazz à Bruxelles au moment des discussions préparant l’indépendance du Congo belge en 1960. Dans ce contexte, l’équipe donne naissance aux incontournables Table ronde et Indépendance cha cha. Au cours d’une des ces séjours en Europe, Kabasele remarque Manu Dibango dans un club et parvient à le convaincre de le suivre dans son pays. Le saxophoniste camerounais fait là ses vrais débuts dans la musique africaine, enregistrant notamment le morceau Ekedy. La renommée de la rumba congolaise s’est répandue sur tout le continent en quelques années. Le Beguen band, groupe du label Ngoma, se produit au Ghana et en Côte d’Ivoire en 1960 tandis qu’au Togo, l’Orchestre des Bantous de la Capitale a été invité à prendre part aux célébrations de l’indépendance. Formé quelques mois plus tôt à Brazzaville, il compte dans ses rangs des musiciens qui ont joué entre autres avec Franco, à l’image de Jean-Serge Essous.
La musique, une activité rentable
Le goût de l’argent sème la discorde dans les effectifs, les autorités acceptées sont soudain remises en question. Kabasele en fait les frais en 1963, alors qu’il revient avec son groupe d’une longue tournée au Mali, en Haute-Volta, au Sénégal, au Liberia… Sans prévenir, aucun de ses musiciens ne se rend à son mariage : ils ont licencié leur patron et sont partis en studio honorer un engagement en son nom !
L’African Jazz se rebaptise African Fiesta, mais la nouvelle entité se scinde ensuite elle-même en deux, victime des tiraillements entre le guitariste Docteur Nico et le chanteur Tabu Ley Rochereau, longtemps resté dans l’ombre du maître Kabasele. L’élève ne manque pas de talent. En 1969, il est le premier Congolais à fouler la scène de l’Olympia, à Paris. Une conquête symbolique dans l’histoire de la rumba.
Par rfimusique
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