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L'Afrique version nu soul INTERVIEW DE FREDY MASSAMBA Propos recueillis par Anne-Laure Lemancel


Remarqué pendant plus de dix ans auprès des Tambours de Brazza ou de Zap Mama, le pétillant chanteur et danseur Fredy Massamba, originaire du Congo-Brazzaville, livre aujourd'hui un magnifique premier album solo, dont le titre, Ethnophony, conjugue les empreintes traditionnelles et les incursions côté jazz, soul ou funk. Un art teinté de références à Marvin Gaye, D'Angelo, Anthony Hamilton qui contribue à ouvrir une nouvelle voie dans la musique africaine, tout en groove et en couleurs...

Après plus de dix ans aux côtés de Zap Mama, Les Tambours de Brazza ou encore Didier Awadi, comment a germé l'idée d'un album solo ?

Du hasard d'une rencontre : celle, en 2005, du musicien et producteur suisse Fred Hirschy, gros fan de soul, de jazz et de musique africaine. Sur ses sons, j'ai posé ma voix. De cette collaboration, l'étincelle a surgi : un désir évident de réaliser un disque, une envie subite qui ne m'avait jamais effleuré auparavant... C'était l'alchimie, le destin !

 Lire la critique de 'Ethnophony'


Le néologisme Ethnophony désigne-t-il votre cocktail inédit entre nu soul et musique africaine ?

« Ethnophony », c'est la contraction entre mon côté « ethnique », très lié à la musique traditionnelle du Congo et mon côté « phonique » : l'aspect « gros son », les caisses claires, le Rhodes jazzy, la couleur funk, l'âme soul, le groove. Je crois, oui, que ce terme résume bien ma personnalité et mon histoire. Président d'orchestre, mon père écoutait en boucle James Brown,Otis ReddingBob Marley... J'ai grandi entouré de ces icônes, mais mon terreau inébranlable restait la rumba congolaise. À l'adolescence, je dansais sur le bitume le smurf, le boogaloo... imprégné de culture afro-américaine ! Et depuis tout gamin, j'observe ce phénomène étrange : sur les chansons US, j'entends dans ma tête des paroles africaines. C'est naturellement dans les langues de mon continent que j'improvise, que je fais jongler les rythmes et les rimes.


 Zoom
Comment avez-vous réussi à frayer votre propre voie parmi vos innombrables rencontres et collaborations ?

Pour un artiste, les rencontres restent toujours positives ! Celle d'Awadi, celle des Tambours... Moi qui fus nourri de rumba congolaise, celle de Zap Mama m'a emmené dans le milieu des Bilal, des Erykah Badu, des Mos Def... J'ai côtoyé mes idoles, et même si ça n'a parfois duré que trois minutes, j'ai partagé avec eux des bavardages, des moments de studio, qui suscitent des vibrations positives, te permettent de développer ta musique, ton style, ton groove, te donnent surtout cette vivacité et cette envie de croire en toi !


Comment percevez-vous votre voix, cet instrument ?

Je la considère comme un xylophone, un balafon, un likembé. Je me balade, je m'amuse, je rebondis sur les notes, entre sens mélodique et impératifs rythmiques aux couleurs boisées. Et puis ma voix se mêle de toutes mes influences : les aigus d'un Marvin Gaye, les graves d'un Anthony Hamilton, la voix de tête d'un Bilal, de D'Angelo, la ferveur du gospel...


Que racontez-vous dans vos textes ?

Je chante principalement en Kikongo (c'est trop joli ce mot, non ?), ma langue paternelle et maternelle, celle que je maîtrise, un dialecte en voie de disparition, que j'espère vivement contribuer à perpétuer... Je parle de tolérance, d'amour, d'espoir, car le peuple africain en a plus que jamais besoin. Je dénonce les bases militaires sur mon continent, j'en appelle à la réconciliation nationale et aux lendemains meilleurs.


Entre la Belgique et votre Congo d'origine, vous vous définissez comme un « afro-péen »...

Je le suis ! Je suis parti en 1998 de mon pays à cause de la guerre, et la Belgique a été mon pays d'accueil, mon tremplin musical et professionnel. J'ai un pied en Europe, l'autre en Afrique... Mais mon cœur et mes regards restent irrémédiablement tournés vers le Congo.


Que pensez-vous justement apporter à la jeunesse africaine ?

J'espère jouer le plus possible en Afrique pour montrer à la jeune génération qu'un son nouveau est possible, une alternative entre soukouss, rumba traditionnelle, et plagiat systématique des mauvaises productions occidentales. À m'entendre chanter en Kikongo sur une base soul américaine ou jazz, certains deviennent ouf ! Cette nu-soul africaine que je diffuse constitue, je l'espère, mon apport au combat, à l'émancipation, ma pierre à l'édifice. L'Afrique regorge de talents musicaux. Mais ils sont encore trop frileux par rapport aux occidentaux, trop complexés, trop timides. Il faut que ces gars (producteurs, artistes, chanteurs...) comprennent qu'ils sont chez eux, et qu'ils peuvent avoir une couleur soul, funk, hip hop, tout en mettant en valeur nos musiques et instruments traditionnels. Sur nos racines, ils peuvent se libérer, jouer la modernité et le plaisir ! 


 Ecouter : le premier album de Fredy Massamba, Ethnophony (Skinfama)

 Voir : le clip de 'Ntoto', single tiré de l'album 'Ethnophony'


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