Alain Mabanckou, l'enfant noir
Il publie «Demain j'aurai vingt ans». Portrait
Il est né au Congo, il enseigne à UCLA, la prestigieuse université de Los Angeles. Et il publie en France de merveilleux souvenirs de son enfance africaine. Rencontre avec Alain Mabanckou
Ses premières lectures, ce sont les « San-Antonio » défraîchis que son père adoptif collectait dans les poubelles des coopérants, en sa qualité de gardien d'hôtel à Pointe-Noire. Pour un Congolais d'une dizaine d'années, il y avait de quoi s'interroger : « Est-ce que San-Antonio c'est l'écrivain qui a le plus écrit au monde ?» Mais il n'y avait pas foule pour l'éclairer tandis qu'il découvrait la littérature française, « par effraction », à travers « Ma langue de Chah » et « Vol au-dessus d'un lit de cocu ». A l'école, où le maître maniait la chicotte, on apprenait d'abord à réciter « les commandements du Mouvement national des pionniers », Révolution rouge oblige. Alain Mabanckou s'en souvient encore.
Aujourd'hui, le petit Congolais est un écrivain de premier plan, récompensé par le prix Renaudot pour ses savoureux « Mémoires de porc-épic ». C'est lui qui répond aux questions des autres : journalistes, lecteurs, étudiants. Il est traduit dans une douzaine de langues. Avec « Demain j'aurai vingt ans », récit de son enfance à Pointe-Noire, il est le premier noir africain publié dans la prestigieuse collection blanche de Gallimard. Et après avoir enseigné à l'Université du Michigan, le voilà recruté par la fameuse UCLA de Los Angeles. Là-bas, l'auteur de « Black Bazar » apparaît comme « le professeur de littérature française le plus cool de Californie ». Pas étonnant quand on l'y a vu, devant cent cinquante personnes hilares, lire l'histoire de la femme qui pisse dix minutes d'affilée. Pour un peu, on l'appellerait Mabancool. C'est qu'il y a du show man dans ce garçon chaleureux parti habiter la ville du cinéma. Quand il sort sur Hollywood Boulevard, sous sa casquette, on le confond avec l'acteur Samuel L. Jackson, ce qui est à la fois flatteur et scandaleux : « Je suis beaucoup plus jeune !».
« Je l'ai rencontré au Salon du livre de Paris en 1999, raconte son grand ami, l'excellent romancier haïtien Dany Laferrière. Il était à son stand et sifflait en voyant les gens passer sans s'arrêter : "Ce sont mes lecteurs". Je l'ai trouvé si drôle qu'on ne s'est plus quittés.» Ne pas trop se fier, pourtant, à ce flegme rigolard :
Aujourd'hui, le petit Congolais est un écrivain de premier plan, récompensé par le prix Renaudot pour ses savoureux « Mémoires de porc-épic ». C'est lui qui répond aux questions des autres : journalistes, lecteurs, étudiants. Il est traduit dans une douzaine de langues. Avec « Demain j'aurai vingt ans », récit de son enfance à Pointe-Noire, il est le premier noir africain publié dans la prestigieuse collection blanche de Gallimard. Et après avoir enseigné à l'Université du Michigan, le voilà recruté par la fameuse UCLA de Los Angeles. Là-bas, l'auteur de « Black Bazar » apparaît comme « le professeur de littérature française le plus cool de Californie ». Pas étonnant quand on l'y a vu, devant cent cinquante personnes hilares, lire l'histoire de la femme qui pisse dix minutes d'affilée. Pour un peu, on l'appellerait Mabancool. C'est qu'il y a du show man dans ce garçon chaleureux parti habiter la ville du cinéma. Quand il sort sur Hollywood Boulevard, sous sa casquette, on le confond avec l'acteur Samuel L. Jackson, ce qui est à la fois flatteur et scandaleux : « Je suis beaucoup plus jeune !».
« Je l'ai rencontré au Salon du livre de Paris en 1999, raconte son grand ami, l'excellent romancier haïtien Dany Laferrière. Il était à son stand et sifflait en voyant les gens passer sans s'arrêter : "Ce sont mes lecteurs". Je l'ai trouvé si drôle qu'on ne s'est plus quittés.» Ne pas trop se fier, pourtant, à ce flegme rigolard :
« C'est un homme très secret, ajoute l'auteur de « l'Enigme du retour ». On a accès difficilement à lui. La mort de sa mère l'a détruit. Il n'a de cesse de lui redonner vie. C'est pourquoi il a dû être si heureux et si malheureux en écrivant ''Demain j'aurai vingt ans''. Je n'ose imaginer ce qu'il a dû traverser. Alain ne rit jamais dans son cœur. C'est un homme très triste, très seul. Son univers n'est pas surpeuplé. Il a une femme, un ami, une passion (l'écriture) et sa mère. Pour le reste, il joue.»
Aux Etats-Unis, Mabanckou joue donc à se sentir chez lui, mais la France reste son « pays d'adoption » : « Les Français doivent comprendre qu'il n'y a pas plus français que ceux qu'ils ont colonisés, puisqu'on a pris au pied de la lettre tout ce qu'ils nous ont appris.» Il était venu à Paris en 1989, comme étudiant en droit, avec l'idée de revenir au Congo-Brazzaville « comme professeur ou comme cadre de la fonction publique ». Deux guerres civiles ont éclaté dans son pays. Alors il est resté, dix-sept ans. Comme conseiller juridique à la Lyonnaise des Eaux dans un premier temps. Il n'a jamais revu sa mère.
« J'ai décidé que la géographie importait peu, qu'il faut s'efforcer de vivre bien là où l'on est », dit-il doucement.C'est là qu'il a lu Mongo Beti et Amos Tutuola : « Ils m'ont ouvert les yeux. C'est peut-être en France que je me suis senti le plus africain. Et aux Etats-Unis que je me sens européen. Que va-t-il se passer si je pars en Asie ?»
Ce « mic-mac identitaire tricontinental » lui convient assez. Et le débat sur l'identité nationale l'a plutôt « agacé » :
« Cette question très gauloise, lancée par des plaisantins qui voulaient faire leur numéro, a été perçue en Afrique comme une manière de faire la politique de Jean-Marie Le Pen. Invoquer les ''valeurs républicaines'', c'est du fascisme froid : restons-en à la Constitution, qui interdit toute forme de discrimination ! De toute façon, ceux qui ont parlé ne sont pas ceux qui défendent la culture française hors de ses frontières.»
Cet étonnant voyageur, détenteur d'un passeport français, sait de quoi il parle, lui qui participe à une vingtaine de festivals littéraires par an. « Tandis qu'à l'étranger, en Inde, en Algérie, en Angleterre ou au Nigéria, je suis présenté comme un écrivain français, on continue en France à me cataloguer ''francophone'', observe l'auteur des « Petits-fils nègres de Vercingétorix ». C'est une forme d'ostracisme. Mais c'est à nous, nés ailleurs, de rompre ces barrières sans nous contenter du périmètre carré où on nous confine.»
Dans « Demain j'aurai vingt ans », un demi-siècle après « l'Enfant noir » de Camara Laye, il réussit ce miracle : faire parler le gamin qu'il fut, pour évoquer le Congo-Brazzaville des années 1970-80, la radio qui portait les rumeurs du monde, les voyous qui « prenaient les surnoms d'Amin Dada ou Bokassa Ier », et surtout sa famille qui n'était « ni riche ni très pauvre », mais partagée entre sa « maman Pauline » et sa « maman Martine », l'autre femme de son père. C'est drôle, tendre et bouleversant comme du Pagnol. San-Antonio mène à tout.
Par Grégoire Leménager (Le Nouvel Observateur du 19/08/10).
Aux Etats-Unis, Mabanckou joue donc à se sentir chez lui, mais la France reste son « pays d'adoption » : « Les Français doivent comprendre qu'il n'y a pas plus français que ceux qu'ils ont colonisés, puisqu'on a pris au pied de la lettre tout ce qu'ils nous ont appris.» Il était venu à Paris en 1989, comme étudiant en droit, avec l'idée de revenir au Congo-Brazzaville « comme professeur ou comme cadre de la fonction publique ». Deux guerres civiles ont éclaté dans son pays. Alors il est resté, dix-sept ans. Comme conseiller juridique à la Lyonnaise des Eaux dans un premier temps. Il n'a jamais revu sa mère.
« J'ai décidé que la géographie importait peu, qu'il faut s'efforcer de vivre bien là où l'on est », dit-il doucement.C'est là qu'il a lu Mongo Beti et Amos Tutuola : « Ils m'ont ouvert les yeux. C'est peut-être en France que je me suis senti le plus africain. Et aux Etats-Unis que je me sens européen. Que va-t-il se passer si je pars en Asie ?»
Ce « mic-mac identitaire tricontinental » lui convient assez. Et le débat sur l'identité nationale l'a plutôt « agacé » :
« Cette question très gauloise, lancée par des plaisantins qui voulaient faire leur numéro, a été perçue en Afrique comme une manière de faire la politique de Jean-Marie Le Pen. Invoquer les ''valeurs républicaines'', c'est du fascisme froid : restons-en à la Constitution, qui interdit toute forme de discrimination ! De toute façon, ceux qui ont parlé ne sont pas ceux qui défendent la culture française hors de ses frontières.»
Cet étonnant voyageur, détenteur d'un passeport français, sait de quoi il parle, lui qui participe à une vingtaine de festivals littéraires par an. « Tandis qu'à l'étranger, en Inde, en Algérie, en Angleterre ou au Nigéria, je suis présenté comme un écrivain français, on continue en France à me cataloguer ''francophone'', observe l'auteur des « Petits-fils nègres de Vercingétorix ». C'est une forme d'ostracisme. Mais c'est à nous, nés ailleurs, de rompre ces barrières sans nous contenter du périmètre carré où on nous confine.»
Dans « Demain j'aurai vingt ans », un demi-siècle après « l'Enfant noir » de Camara Laye, il réussit ce miracle : faire parler le gamin qu'il fut, pour évoquer le Congo-Brazzaville des années 1970-80, la radio qui portait les rumeurs du monde, les voyous qui « prenaient les surnoms d'Amin Dada ou Bokassa Ier », et surtout sa famille qui n'était « ni riche ni très pauvre », mais partagée entre sa « maman Pauline » et sa « maman Martine », l'autre femme de son père. C'est drôle, tendre et bouleversant comme du Pagnol. San-Antonio mène à tout.
Par Grégoire Leménager (Le Nouvel Observateur du 19/08/10).
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